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Un de trop !


J'ai un pied
Pour mon ver
Que vais-je donc en faire ?
C'est un solitaire !
Il est très vulgaire
Et il sent mauvais
Ô la belle affaire
Tu peux le jeter !

J'ai deux pieds
Pour un lampadaire
Que vais-je donc en faire ?
Deux vieux pieds de fer
Qui ont fait la guerre
Lourds comme des pierres
Et couverts de lierre
Ô la triste affaire !
Ils sont tout rouillés
Faut s'en séparer !

J'ai trois pieds
Pour une bergère
Que vais-je donc en faire ?
Ils sont bien trop clairs
Ça ne va pas plaire
À ses deux souliers
Une fâcheuse affaire
Elle les a jetés !

J'ai cinq pieds
Pour un secrétaire
Que vais-je donc en faire ?
Chez un vieux notaire ?
Chez un antiquaire ?
Ou chez un faussaire ?
Ils n'en ont que faire
De ces petons verts
Qui sont contrefaits
Quelle mauvaise affaire !
Ils sont à jeter !

J'ai cent pieds
Pour mes vers
Que puis-je donc en faire
Dans les dictionnaires
Comme dans les glossaires
Ou les inventaires
M'a dit la libraire
Il sont des milliers
Que de mots en l'air !
Pourquoi les garder ?

J'ai mille pieds
Pour chausser l'hiver
Que vais-je donc faire
Ils sont très divers
Ils sont de travers
Mais pourquoi jeter ?

Je les ai donnés
À mon encrier
Qui m'a dessiné
Un mille pattes doré

Et dans l'univers
Comme dessus la terre
Il s'en va trottant
Il est tout content
C'est bien plus charmant
De ne rien jeter !

Texte : Jacques Goffin
Illustration : Alain Lafabrègue

In "Ces singuliers regards…"
In "Du fond de l'amphore", PDF 1-41, 2016

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