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la Princesse de sable
Dans son château mouvant du désert, une princesse de sable, belle comme une rose, s’égrenait à tous vents. Les Simoun, Chergui et autre Sirocco soufflaient dans ses voiles, emportant dans chaque rafale un morceau de la jolie pucelle. Ayant déjà perdu le nez, les doigts et les orteils, soit, l'entièreté des extrémités, la belle était en grand chagrin, car outre les souffrances et les tourments, elle perdait espoir de voir venir un sultan charmant et de devenir une assaki aimée et respectée de tout un harem. Chaque soir, elle implorait les puissances surnaturelles de lui venir en aide et de retrouver sa splendeur primitive. Et bientôt, la providence - plus exactement la manigance démoniaque – entendit ses prières.

Par un laid matin, déportée dans une violente bourrasque désaxant son balai, une vieille sorcière atterrit en catastrophe au beau milieu du sérail. Elle rageait de son plein venin sur ce bas coup de tabac de dieu le père, lui réservant les pires sortilèges. C'est lorsqu'elle implora le vilain de ne pas lui faire rater son sabbat de toutes les nations, que dans un souffle, Satan lui proposa un marché. Elle en fut très étonnée, car il y avait belle lurette qu'elle lui avait vendu son âme ; néanmoins quand elle vit le petit tas de sable et par dessus, en pleurs, la princesse à moitié désagrégée, elle crut comprendre ce que Lucifer attendait d'elle.

On a beau être sorcière, on peut avoir des sentiments et de la compassion pour un si mignon mamelon de sable, surtout si c'est le patron qui le demande ! Certes, à cette pauvrette, un aimable envoûtement ne ferait aucun mal et lui rendrait tout son charme. La magicienne ramassa donc les poussières, les mit sur une table afin de reconstituer une sacrée beauté du diable à la nymphette !

Mais dans l'aventure tumultueuse de l'ouragan, la vielle femme avait perdu son lorgnon, et n'y voyant guère elle assembla à la va-vite la donzelle, lui fourrant un doigt à la place du nez, un œil aux orteils, une oreille sur le ventre et j'en passe. Enchantée cependant de son travail, très pressée, sans plus attendre, la sorcière enfourcha son balai et s'envola vers sa diablerie internationale, laissant la fillette dans cet état.

Constatant les légères altérations de son corps, la princesse se montra insupportable durant tout l'hiver, évitant pourtant de se mettre dans le vent afin de conserver tous ses organes, mais, convaincue qu'avec cette dégaine là, elle ne trouverait certainement aucun prétendant. Agacées par ses lamentations et ses furies, ses sœurs se concertèrent pour rappeler la sorcière.

Celle-ci pointa son grand nez au début du mois de mai. Encore un peu givrée, tant elle avait fait la java, et bien qu'elle ait volé des lunettes, elle ne voyait guère comment réparer les dégâts ; consultant son grimoire de voyage, elle y trouva une formule d'attirance et fouillant dans son sac, dégota une fiole de filtre d'amour qu'elle refila à la gonze éplorée… Et sur le fait, satisfaite, à nouveau, elle décolla aussitôt vers sa tanière prendre de l’Alka-seltzer.

Ce n'est qu'à l'aube de l'été que dans une merveilleuse décapotable de qualité, un célibataire très âgé et très voûté passa le portail du sérail.

Ayant depuis longtemps renoncé aux jeunes premiers, la princesse cabossée, vit là l'occasion de saisir sa chance. Si le vieux en tombait amoureux, elle pourrait quitter son désert pour des cieux plus cléments et sans vents. À voir sa bagnole, il avait du fric, et pourrait lui assurer une chirurgie esthétique ! Et dans peu de temps, quand il viendrait à clamser elle hériterait d'un pont de gros picaillons… À elle, la belle vie, la fête, les beaux mecs et les bons amants.

Au cours d'un repas de courtoisie, elle récita la formule et vida discrètement le contenu de la fiole dans le verre du célibataire. L'effet fut stupéfiant et le soir même, le vieux monsieur demandait la main – et le reste – de la demoiselle conspiratrice. Évidemment, elle lui accorda cette faveur – et le reste- dans l'instant.

Dés le lendemain, il fut décidé qu'elle quitterait le sérail ce jour même et s'envolerait dans la belle décapotable du vieil épouvantail dont elle se débarrasserait au plus vite.

Les adieux faits, ils prirent la piste assez lentement pourtant, car les tourbillons risquaient d'esquinter la dame. Mais dès la première dune passée, le vieux coquin, car c'était un chenapan, s'en prit à la princesse. Saisissant une masse sur le siège arrière de la voiture, il roua le tendron de plusieurs coups de ce marteau le réduisant en des millions de grains minuscules et très fins. Puis, à l'aide d'une pelle il emplit délicatement un sac et mit précieusement son butin dans le coffre de la voiture où se trouvaient déjà bien des paquets assez communs. Ensuite il remercia le prince des ténèbres de lui fournir du sable de cette qualité et, reprit la route, comblé, riant de son forfait.

Car si depuis la nuit des temps, ce vaurien arpentait tous les déserts du monde à la recherche de tonnes de sable, il était bien rare d'en trouver d'une telle subtilité et d'une telle beauté… Souvent, il fallait donner du sien pour s'en procurer et cela n'allait pas sans passer par des marchés un peu mafieux. Contrairement au sable de grande surface, avec ce produit artisanal on pouvait rassurer les parents les mieux nantis : en utilisant ce sable là, ils pourraient endormir même les enfants les plus récalcitrants.

Voilà comment depuis des siècles,
le marchand de sable se fait un tas de pognon
Voila pourquoi des parents éreintés mais huppés
peuvent roupiller dans leur confortable maison

Et chaque matin,
tout ce petit monde est radieux !
Grâce aux vents dans les cieux,
parfois, le crime fait des heureux !

Omicourt,2018
Texte et Illustration : J.Goffin

In "Du fond de l'amphore", PDF 3-10, 2018

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